Certains souvenirs, plutôt douloureux ou angoissants lorsqu’on les a vécus, s’atténuent par la suite lorsqu’on y repense… Dans ce cadre, laissez-moi vous raconter ma première entrevue avec Albert Uderzo en 1998…
Pour le projet de la création du livre des 40 ans d’Astérix, j’avais rencontré un certain nombre de personnes aux éditions Albert-René et on avait convenu ensemble que je travaillerais sur une première ébauche du contenu, sur le plan, la structure, la table des matières, bref une première version de l’ouvrage et que sur cette base, je rencontrerais pour la première fois M. Uderzo pour en discuter avec lui et pour qu’il me donne bon nombre d’informations, d’anecdotes inédites à rajouter aux différents chapitres.
Aussitôt dit, aussitôt fait donc. Je travaille comme un acharné pendant plusieurs semaines sur ce plan, je rédige les premiers contenus, fais les premiers choix d’illustrations, bref, j’avance bien et au bout d’un moment, j’appelle les éditions pour leur indiquer que le rendez-vous pouvait se programmer. C’était, si je me souviens bien, aux alentours du mois de juin.
Une date est donc fixée, le mardi de la semaine suivante. Comme je voulais bien faire les choses, je cale également un rendez-vous avec Anne Goscinny pour lui présenter mon travail et avoir son agrément le mercredi, soit le lendemain. Autant dire que, dans mon esprit, ces deux rendez-vous sont capitaux pour montrer ce que j’ai fait. Je croise les doigts pour qu’ils apprécient mon travail car, bien sûr, je doute à mort de la qualité de mon labeur.
Et Taranis, Dieu de la foudre, frappe !
On est alors le vendredi et les rendez-vous sont fixés à respectivement 4 et 5 jours de là. Et ce vendredi-là, un gros orage passe sur le village où j’habite et une coupure de courant abrupte survient, suivie quelques minutes plus tard d’une remise de celui-ci par EDF. Manque de chance, je n’avais pas d’onduleur et mon ordinateur prend un coup fatidique à ce moment-là : disque dur complètement HS ! Et bien sûr, je n’avais aucune sauvegarde récente, et surtout aucune sauvegarde (rien !!) de tout le dossier du livre d’Astérix !
On est vendredi vers 16h. J’ai l’impression de prendre un camion en pleine face quand je comprends le problème. En gros, le ciel me tombe sur la tête, si vous voyez l’image… Je vérifie, constate les dégâts, cherche un réparateur d’ordinateur, mais tous les échos que j’ai me montrent que le disque dur est irrécupérable. Je tente quand même le coup toute la nuit mais, au petit matin, après une nuit blanche, je dois me rendre à l’évidence : tout mon travail est perdu, je n’ai réussi à récupérer que quelques miettes infinitésimales.
Pas le choix alors : les rendez-vous sont mardi et mercredi, pas question de les décaler. Je vais tout refaire, tout réécrire et en 4 jours refaire le travail qu’il m’a fallu de nombreuses semaines à créer… Je fonce, prends un autre ordinateur, ne dors que quelques heures, je travaille jour et nuit pour rattraper le temps perdu et, le lundi soir, miracle, j’ai tout refait ! Heureusement, je me souvenais de beaucoup de chose et je dirais même que, finalement, malgré une légitime fatigue voire un épuisement certain, je trouve le résultat plutôt meilleur que la mouture disparue dans les limbes de mon disque dur meurtri… En retour, il vaut mieux ne pas me parler de façon trop abrupte, je suis un peu sur les nerfs avec les litres de café que j’ai absorbés en perfusion…
Quand ça veut pas, ça veut pas…
Le mardi matin, après une courte nuit, je prends l’avion à Strasbourg, direction Paris (il n’y avait pas le TGV, à cette époque-là). L’avion a du retard. On attend sur le tarmac au départ, puis on décolle enfin d’Alsace. Premier retard. Arrivé à Paris, nouveau problème : aucun escalier n’arrive pour nous permettre de descendre de l’avion. On attend de très longues minutes (voire plus) avant de pouvoir enfin sortir de la carlingue. J’avais déjà au bas mot une à deux heures de retard. J’avais prévu large, mais quand même, il ne fallait plus trop tarder…
Arrivé dans l’aérogare, je me dis que je ne vais pas faire confiance à la fluidité de la circulation à Paris (pas folle, la guêpe) et je prends le métro pour rejoindre la capitale. Et, vous la voyez venir, la galère ? Le métro reste bloqué en pleine voie pour une raison inconnue (accident de personne ? Je ne sais plus) pendant un temps infini…
On était en 1998 et l’usage du téléphone portable n’était pas aussi répandu qu’aujourd’hui. Je n’en avais pas car je pensais que je n’en avais pas vraiment besoin. Pauvre fou que j’étais… Donc impossible d’appeler les éditions Albert-René pour leur expliquer que cette fois, c’était sûr, j’arriverais en retard.
Bref, le métro repart, je prends mes correspondances en quatrième vitesse, je cours comme un dératé et finalement j’arrive à la station Charles de Gaulle – Étoile avec plus d’une demi-heure de retard sur l’heure prévue pour le rendez-vous. Je suis à la fois vert de rage et cramoisi de honte, ce qui doit donner une couleur assez étrange comme résultat…
J’arrive aux éditions Albert-René, à quelques pas de là, dans un état assez lamentable et je me confonds platement en excuses pour ce retard indépendant de ma volonté. En fait, personne ne s’était vraiment aperçu que j’étais en retard (l’habitude parisienne, certainement)… Et je vois arriver Albert Uderzo en face de moi. Je suis à deux doigts de tomber dans les pommes de fatigue accumulée depuis plusieurs jours et d’énervement. Détail amusant, quand je pense à ce moment-là, la première chose que je revoie, ce sont les superbes bretelles de M. Uderzo, en bras de chemise, qui m’invite à me rendre dans la salle de réunion, en m’expliquant avec un grand sourire amusé qu’il n’y a évidemment aucun problème pour le retard, qu’il comprend très bien, qu’il a l’habitude, qu’à Paris ça se passe ainsi très souvent (ah ben voilà, oui c’est bien ça) et qu’il avait de toutes façons beaucoup à faire par ailleurs aux éditions en m’attendant.
Et on a commencé à bosser ensemble…
Le lendemain, j’étais à l’heure (je crois même que j’étais très en avance, j’ai attendu une heure sur un banc, heureusement il faisait beau, avant de franchir les derniers mètres) pour mon rendez-vous avec Anne Goscinny (qui s’est également très bien passé). Chat échaudé… Vous connaissez la suite…
Conclusion…
Tout ça pour dire que depuis cette histoire :
- Je suis devenu un stakhanoviste de la sauvegarde. Je sauvegarde les sauvegardes des sauvegardes, et plutôt deux (voire trois) fois qu’une, dans le cloud et sur des disques externes.
- J’ai acheté un téléphone portable (dont je sauvegarde les données, vous pensez bien)…
Mais depuis tout ce temps, aucun de mes ordinateurs n’a plus jamais été touché par la foudre… 🙂
Quelle histoire !
En lisant cette anecdote, on s’imagine bien les états dans lesquels vous avez pu passer.
Exact, j’ai mis un peu de temps à m’en remettre ! Ah ah ah 🙂
Whah ! Quelle histoire ! Comme quoi, il ne faut jamais rien lâcher et continuer d’avancer.
Magnifique histoire, merci pour ca partage ! C’est donc de là que vient la perte de cheveux :p, on comprend mieux à présent !!